Rencontre avec DIERICK DHZ

« Die Hertz Zone », c’est autobiographique…
un instantané des choses qui ont compté,
qui m’ont construit, qui font l’homme
de 55 balais que je suis aujourd’hui…

Interview – Partie III sur III
(Rencontre avec Dierick DHZ – Lire la partie I)

Lieu : Saint-Malo (35)
Date : 25/11/2018


Par Philippe R. / Cécile B.

Oui et puis il y a la montée de l’électro en ce moment, et une très bonne scène rap qui commence à être moins “crado”, parce que les pleurnichades du rap, bon…
Oui c’est vrai, dans le rap, au début, ils parlaient de leurs problèmes sociaux, communauté, travail, banlieue, argent etc, ce qui était très légitime. Le problème c’est que le rap est devenu un pléonasme du discours social et on a été saturés de ça je pense… donc moi je me suis détaché du rap parce que musicalement je trouvais ça pauvre, vraiment, j’assume ce que je dis. Quand à 16, 17 ans tu écoutes du Yes, du Queen, du Zappa, du Bowie (je le cite en dernier parce qu’on garde le meilleur pour la fin), comment tu peux être sensible à du rap avec un beat, une TR 808, c’est pas possible…

Pourtant dans les années 80, elle a bien fonctionné la boîte à rythme…
dierick-02-01Oui, quand elle est utilisée à bon escient, inscrite dans un travail de manière harmonieuse… Tu vois, on évoquait Kraftwerk ou d’autres groupe où la musique électronique a trouvé sa place… et j’étais le premier à l’utiliser aussi, bien sûr ! Je travaillais dans un magasin d’instruments de musique, moi je vendais des guitares, donc j’ai connu les débuts du DX 7, l’Akai S-1000 ou S-900, la TR 808, tout ça je connais par coeur…

Ça revient d’ailleurs…
Oui ça revient, c’est du vintage maintenant, c’est du collector ! Mais pour revenir à ta question, ce que je pense de la scène musicale aujourd’hui, c’est teeeellement vaste, je me rends compte qu’il y a beaucoup de talents…

Est-ce qu’on passe pas à côté de choses ?
On passe à côté de quelque chose. Si on doit résumer ça, on passe à côté d’une énergie, voilà. Je pense que le seul truc qui manque c’est une énergie, une authenticité, c’est le côté “brut de pomme”, on passe à côté de ça, tout est trop léché…

Bon, une question qui tue : dis-moi une chose que tu ne supportes pas ?
Oh y’en a plein…

Oui mais LA chose que tu ne supportes pas, sans aucune concession.
(Longue réflexion de Dierick, dont l’hésitation se trouve décuplée quand Philippe précise que sa question est “générale” et non-pas orientée musique.)
Bon, y’a 2, 3 choses… L’intrusion, je déteste l’intrusion. Je n’aime pas ce “viol” des choses de la vie, en particulier de l’administration, qui est intrusive, qui sans savoir si je suis ou pas dans une période d’écriture, de création, de remise en question etc, vient foutre la merde avec un recommandé “vous nous devez tant”, ou des propriétaires qui te mettent au tribunal pour une histoire d’état des lieux… Voilà, des trucs comme ça c’est très intrusif. C’est pas le sujet en lui-même qui me gène, c’est l’intrusion. Ça vient polluer ton environnement, ton mental, et c’est précieux, le peu de temps qu’on a et l’importance des choses à faire… L’art, pour moi – même si c’est galvaudé de dire ça – l’art est vraiment le vecteur majeur de l’humanité, c’est vraiment le truc ma-jeur, et du coup je trouve ça grave, l’intrusion c’est une atteinte personnelle…

(Là démarre un dialogue parallèle sur l’intrusion suprême : celle plus ou moins consentie et hautement chronophage des réseaux sociaux. Si Philippe a récemment fait un break salvateur de Facebook pendant 3 mois (“pfooouuu, ça fait du bien… »), Dierick a purement supprimé son compte il y a des années (“J’ai fait comme tout le monde au début, tiens c’est marrant, c’est quoi, et puis je me suis retrouvé avec 2850 amis, j’en connaissais pas 15”). Il a cependant dû, pour Die Hertz Zone, déroger à son principe de digital detox pour se plier à l’incontournable visibilité de ces réseaux en matière de communication.)
 
Le temps que ça prend tout ça… Moi j’ai pas la télé non-plus, je choisis ce que je regarde et quand je le regarde. Il y a d’autres vecteurs d’information… C’est très très intrusif tout ça aussi… Et c’est paradoxal parce qu’on peut se dire : c’est nous qui allumons la télé, c’est nous qui allumons l’ordinateur et en fait non, on est sollicités sans arrêt par des alertes, des notifications, c’est constant et on ne parle que de Facebook, mais si tu multiplies par tous les autres réseaux sociaux, plus ton téléphone, plus le facteur qui sonne à ta porte, c’est beaucoup… et les moments d’isolement sont très très rares. Moi j’ai choisi de quitter Paris et de m’installer en Bretagne pour retrouver ça. Je me suis dit tiens, je vais connaître moins de monde, je vais être un peu peinard, planqué, à 5 h de Paris en voiture, et il n’y a que quand je vais à la boulangerie ou au bar que je rencontre 2, 3 connaissances qui sont devenues des copains – les amis sont rares -, mais c’est moi qui choisis. Quand je ne veux pas être là, je ferme les volets ou je m’en vais, mais je me laisse de moins en moins envahir. C’est pas une critique envers l’autre hein, c’est juste que j’ai besoin de préserver un environnement. Et en même temps j’adore aller me plonger, littéralement, me noyer dans la foule… Par exemple quand je vais à Berlin ou à Budapest, j’aime bien aller dans des clubs alternatifs, j’ai 20 ans, je suis en marcel et je suis là, sur un beat électro radical, j’adore ça ! Mais c’est quand tu choisis. Il faut pouvoir se ressourcer quand tu choisis. C’est favorable à l’écriture aussi, parce que quand tu n’as vu personne depuis vraiment longtemps, à un moment la page blanche se remplit. On a une matière en nous, c’est comme quelqu’un qui fait un régime ! Si tu arrêtes de donner à manger à ton corps, il va aller chercher les ressources là où il y en a, dans les bourrelets là, tu vois… eh bien je pense que la créativité c’est pareil.

garage-lopez-2018-00

À un moment, quand tu ne te “nourris” plus… parce qu’on est tellement nourris d’images, de musiques, de films, et c’est bien ! On est comme des éponges, on enregistre tout ça sans forcément digérer ou canaliser, mais ça rentre quand même et c’est bien de se poser quelques temps et poum, tu sais pas par quel chemin, ça ressort. Tu rattaches une image à un mot, à un début de phrase, un morceau de musique et c’est comme ça que tu construis ton truc.

Si la discussion continue quelques minutes sur le thème de la nourriture, c’est plus une nourriture comestible que spirituelle qui les occupe – il se fait tard et le gruyère poivré, ça va bien 5 minutes -, et l’on apprend que Dierick a savouré, lors de son dernier séjour en Belgique, un bon steak de cheval préparé dans les règles de l’art (“T’as 3 gousses d’ail pour un steack, avec une pomme de terre en chemise et une bonne Gueuze”). Ce qui permet une transition parfaite pour évoquer le thème de son prochain album.

… Les mineurs, justement, mangeaient une fois par semaine un steack de cheval… C’était lui, le père, le mineur, celui qui descendait dans le trou, dans la fosse, qui avait droit à son steack une fois par semaine et il le partageait pour un quart, un tiers, avec ses enfants autour de la table… Tu vois, l’idée de cet album, c’est vraiment de retrouver le son de l’univers “usine”, machines, sidérurgie, charbon, châssis à molette, des terrils, des fosses, pour qu’on soit vraiment dans ce truc monolithique et avoir des choses simples à percevoir. On a la machine d’un côté, ce qui va illustrer le monde noir du chardon, des mines, le Borinage – le Borinage, c’est la région frontalière entre Valenciennes, Mons, où il y avait toutes ces mines de charbon et un peu plus loin, vers Charleroi, les sidérurgies -, donc voilà, un son très très dur, très radical, rien à voir avec le premier Die Hertz Zone. Ce sera beaucoup plus machine, on va éviter l’intro-couplet-refrain-couplet-refrain-break-solo etc, ça va être des monolithes, d’où l’idée aussi des Lopez… Un son très dur, très lourd, très violent et, en relief là-dessus, de la porcelaine. La porcelaine c’est quoi, c’est le moment du bain où le mineur, qui est censé avoir le premier accès au bain quotidien quand il rentre de la mine, eh bien pour faire plaisir à sa femme, il va lui dire “tu peux le prendre avant moi, sinon l’eau elle va être juste dégueulasse pour toi”, ça ce sont des petits moments de porcelaine… Ou le pain au sucre que les mineurs avaient pour descendre : c’est du pain dans lequel tu fais des trous avec tes doigts pour mettre du sucre qui fond à la cuisson, et c’était leur deux petites minutes de bonheur à 700 mètres de fond. Et tous ces petits moments-là, je vais les exprimer avec du slide en son clair, donc il y aura ce relief entre les grosses machines monolithiques et des petits moments délicats comme ça, pour faire ce parallèle. Donc le lien entre le contenu et le contenant, la musique et le texte, va être établi de cette manière. Et je vais l’enregistrer en Belgique parce que ça parle de ça, ça doit être enregistré là-bas, bien sûr.

garage-lopez-2018-11

(Philippe reste tellement songeur qu’il en oublie clope et coup de rouge…)

Il y a de belles images là, hein… Je vois bien les lampes des mineurs, les casques…
Oui, moi c’est par les images que je construis le son… J’ai une petite anecdote assez rigolote : quand on enregistrait l’album Gadjë, il y a Les Yeux Noirs (NLDR : groupe de musique yiddish et tzigane créé par les frères Olivier et Éric Slabiak, violonistes) qui viennent faire les violons sur 3-4 titres, et ils me demandent si j’ai les partitions relatives aux parties dans lesquelles ils devront jouer. Et je leur dis “non non, moi je préfère te parler avec des images”, et pour un des morceaux j’ai évoqué Chaplin, je voulais que ça sonne Chaplin, un peu noir et blanc, un peu triste, un côté un peu gauche qui évoque la compassion… donc tu as une petite larme au coin de l’oeil et quand tu dis ces mots-là et que tu parles de ces images, ça va transpirer quand le mec va jouer sa partie de violon, sans qu’il y ait besoin d’une partition. Donc la référence aux images, au cinéma, c’est super important… Et le choix des mots aussi. Tu vois, tu me demandais tout à l’heure ce qui me gênait dans la nouvelle génération, c’est ça : le choix des mots. Même si ça chante bien, tu sens que ça a été une plume facile, “oh c’est bien on a une rime”, poum… Et t’as pas comme chez Bashung, Thiéfaine, ou Noir Désir, ou Jad Wio… t’as pas ce second, ce troisième sens, cette lecture, ce côté un peu littéraire, où tu te casses un peu le cul pour trouver le mot juste et ça, ça me manque. Je roule beaucoup en voiture, j’écoute plein de radios et parfois t’as des rimes tu te dis non, ils ont pas osé quand même…

De l’écriture facile à la composition facile il n’y a qu’un pas, franchi par Philippe qui s’agace du manque de créativité de certains groupes très renommés qui continuent de sortir de nouveaux albums confortables, bien trop semblables au(x) précédent(s).

C’est un vrai sujet ça… On évoquait Bowie au début de cette conversation et Bowie, à chaque projet, à chaque album il se remettait en question… Il se mettait en risque à chaque fois, et pour moi c’est l’une des composantes de la création, il faut se mettre en risque. Tu vois, imaginons – toutes proportions gardées et orgueil sorti de ce propos -, par rapport à Die Hertz Zone on pourrait se dire “voilà, il a un parti pris, on sent l’essence de son parcours de guitariste et le côté un peu autobiographique du texte”, et je pourrais me dire tiens, je m’y conforte en fait, c’est pas mal, je vais rester dans ce créneau. Or le prochain album, tant musicalement que dans les textes, il va être radicalement différent, donc tu n’as pas le temps de t’ancrer dans un hypothétique public que tu peux considérer comme des prospects, “ah c’est cool, ce public-là peut peut-être accrocher à ça”. Donc du coup tu échappes à ça, en étant créatif au point de te mettre en danger et de te réinventer à chaque fois. Forcément elle se sent, l’authenticité, parce que tu mets tes tripes sur la table, tu te réinventes… et du coup, ça exclut d’office la notion de “retour sur investissement, d’attente d’un succès, d’attente d’une reconnaissance. Tu t’en fous, tu es là pour – comme on le disait tout à l’heure – sortir des pulsions… J’ai fait de la soudure sur métal, du théâtre, de la danse, de la musique, c’est selon la pulsion et la matière qu’elle va adopter. Et c’est vrai, par rapport à ces groupes-là qui se copient eux-mêmes, c’est juste de la capitalisation sur des acquis quoi…

L’entretien se poursuit sur cette capitalisation de la nostalgie, ces groupes qui cachetonnent au détriment de la création, ces artistes dont l’amertume de ne savoir réellement se renouveler rend presque pathétique la “reformation exceptionnelle” du groupe qui les a rendus célèbres… puis il s’achève sur la sympathie de Nono (Trust) que Philippe a rencontré pusieurs fois et avec lequel Dierick a souvent échangé à l’époque où il vendait des guitares, sur l’élégance émouvante du dernier album d’Alain Chamfort…
L’élégance et l’émotion étaient également très présentes lors ce long entretien avec Dierick. Et puis une franchise aussi désarmante et percutante qu’assumée (le punk de 17 ans), qui contraste avec cette poésie qu’il parvient à déceler (et exprimer) dans absolument tout ce qui peut entrer dans son champ de vision ou de pensée. C’est peut-être là, dans le contraste, que réside une part de la richesse de la personnalité artistique de Dierick qui, elle-même, nourrit l’impatience non dissimulée de notre interviewer à écouter le prochain album de l’auteur… occupé pour l’instant à observer Philippe ranger ses petites affaires. Et là on a très envie de lui dire : “Toi là-bas qui ne fais rien, retourne donc travailler sur ton disque !”.


(Fin)

Plus d’infos : Bandcamp

Interview : Philippe Riesco Photos : Philippe Riesco, Dierick, Mike S.  – Rédaction : Cécile B.

(Re)lire :
Rencontre avec Dierick DHZ – Lire la partie I
Rencontre avec Dierick DHZ – Lire la partie II

Chronique : Die Hertz Zone 1
Reportage : Concert avec Garage Lopez @ SMRC