ROUTE DU ROCK  Eté #33

Jour 4 : Kraftwerk – Maria Somerville – FINE – M(H)AOL  -Trentemøller – Suuns – … 

Date : 16 aout 2025
Salle : Fort de St Père
Lieu : Bretagne, Saint Malo (35)

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Par Mike S.

Dernière soirée pour cette 33e édition de La Route du Rock, qui avait déjà frappé fort la veille avec le retour de Pulp. Mais le dimanche, le Fort de Saint-Père avait rendez-vous avec des légendes : Kraftwerk, pionniers absolus de la musique électronique. Avant eux, une série de concerts aux atmosphères contrastées a offert au public une clôture riche en découvertes et en émotions.

C’est Maria Somerville, originaire de Galway en Irlande (Connemara), qui ouvre le bal. Sa pop éthérée, héritière des Cocteau Twins, plane en douceur sur le site. Accompagnée d’un batteur et d’un bassiste – dont les graves ont parfois semblé trop puissants pour la sono –, la chanteuse déroule ses compositions sans fioritures. Entre fragilité et retenue, son univers intimiste se prête parfaitement à cette fin d’après-midi en clair-obscur.

Place ensuite à Fine, formation danoise qui évolue dans la même sphère dream-pop, mais avec une profondeur plus sombre. La voix de sa chanteuse, fragile et enfantine, évoque par moments Hope Sandoval (Mazzy Star). Le concert, d’à peine une heure, monte progressivement en intensité : d’abord vaporeux et mystérieux, il devient plus pop et entraînant à mesure que les morceaux s’enchaînent. Une belle découverte qui confirme l’œil affûté de la programmation.

Sur la scène des remparts, changement radical avec M(H)AOL. Retour en Irlande, cette fois à Dublin, pour ce groupe post-punk mené par une chanteuse-batteuse aux cheveux roses. Leur second album Something Soft n’a de “soft” que le nom : batterie et basse martèlent sans répit, pour un son brut, parfois brouillon, mais d’une énergie redoutable. Le single Pursuit fait l’unanimité et emporte la foule.
Détail marquant : le guitariste joue tout le set dos au public, sculptant ses sons en direct sur ses amplis. En contrepoint, la bassiste, au centre de la scène, ajoute sa voix à celle de la frontwoman. Une prestation explosive, dans la lignée de l’énergie de Yard Act la veille.

On remet le cap sur le Danemark avec Trentemøller, qui livre un concert dense et envoûtant. Inspiré par la cold wave et nourri de 25 ans de carrière, le musicien offre 75 minutes intenses aux côtés de quatre musiciens et d’une chanteuse hypnotique. Comme Somerville et Fine plus tôt dans la soirée, le set démarre dans l’épure, presque flottant, avant de s’alourdir et de plonger dans des climats plus sombres, entre The Cure, Depeche Mode et Archive. Trente, le leader, joue plutôt les chefs d’orchestre, à moitié caché par ses claviers, dont il ne sort que peu, laissant plus volontiers la place à sa chanteuse à la beauté froide et au timbre enivrant. 
Clin d’œil appuyé : un sample de Lullaby des Cure se glisse dans la setlist. Une montée en puissance qui place ce concert parmi les grands moments de cette édition, alors même que la plus part d’entre nous ne les connaissais pas avant ce mois d’août.  

Les Québécois de SUUNS sont des habitués du Fort, et leur retour en 2025 confirme leur statut de valeur sûre. Dans une semi-pénombre saturée de rouge et de bleu, leurs compositions labyrinthiques résonnent comme un voyage sonore plus qu’un concert classique. Sur la petite scène, les initiales du groupe apparaissent comme des ballons de baudruche blancs, pendant que les riffs se propagent au-dessus d’un public compact et réceptif. Parfois difficile à saisir mélodiquement, leur musique hypnotise par son intensité rythmique et son côté viscéral. Une ivresse sonore, taillée pour les fidèles du festival.

Suuns

Après l’ivresse sonore de Suuns, changement total de décor : on entre dans un autre monde. Celui de Kraftwerk, les architectes de la musique électronique moderne. Depuis 1970, leurs séquenceurs et synthés ont redéfini les frontières du rock, balayant guitares et batterie pour inventer une grammaire sonore entièrement nouvelle. Et ce soir, le Fort de Saint-Père devient leur laboratoire. Et nous, leur cobayes ! 

Sur scène, pas de fioritures : quatre pupitres alignés, une esthétique clinique, presque chirurgicale. Derrière, un déluge de visuels géométriques, de chiffres qui défilent, de couleurs vives qui transpercent la nuit. On pense à Tron, à une science-fiction vintage, parfois kitsch, mais jamais datée. C’est précisément cette tension entre rétro et futurisme qui fascine : Kraftwerk ne sonne pas comme un “vieux groupe culte”, mais comme une machine intemporelle.

Ralf Hütter, 78 ans et dernier membre fondateur encore en activité, veille sur ce temple sonore. Et dès les premières notes de Radioactivity, les derniers sceptiques sont balayés : tout le monde reconnaît ce classique, scandé par des voix synthétiques et des visuels irradiants. Le voyage se poursuit avec Autobahn, The Model, The Robots, Tour de France ou encore un monumental Trans Europe Express, long de dix minutes. Chaque morceau est accompagné d’une imagerie minimaliste, héritée de l’époque de sa création mais retravaillée avec subtilité pour épouser notre ère numérique.

Durant plus de 90 minutes, Kraftwerk transforme La Route du Rock en une cathédrale électronique. Loin d’être un simple concert “patrimonial”, c’est une expérience totale, où sons et images s’imbriquent pour rappeler à quel point leur influence irrigue encore la musique contemporaine – de la techno à la pop en passant par le post-punk.

Un final magistral, digne d’un festival qui, depuis plus de trente ans, cultive l’art du grand écart entre héritage et avant-garde. 

Krafwerk

Cette 33e édition se conclut donc sur une apothéose électronique, après quatre jours marqués autant par des têtes d’affiche historiques que par de vraies révélations. De Dominique A à Pulp, de La Femme à Trentemøller, en passant par M(H)AOL, Fine ou Yard Act, la Route du Rock a prouvé une fois encore qu’elle savait marier héritage et découverte. Vivement la 34e !


Merci aux musiciens, aux techniciens et aux organisateurs de ce festival unique en France !


Krafwerk